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11. 1er août 1984. Vous ne m'avez rien dit de mes vouvoiements par rapport aux tutoiements.

 

Hyères, le 1er août 1984

Belle Source,

Tu ne peux imaginer comme tes lettres me font plaisir. Je vais te demander la différence (précise) entre les chrétiens, les catholiques et les protestants. Tu m'as déjà expliqué tout ceci, mais l'histoire, cela s'apprend en plusieurs fois et une dernière fois écrite, cela rentrera dans ma tête.

Je vais te parler un peu de ce que je fais : je danse énormément avec Mathias. Chacun notre tour, on se fait une séquence de "break" pendant cinq minutes. (On peut ainsi se reposer pendant que l'autre danse).

Je me suis achetée un maillot turquoise admirable. Plus beau, tu meurs.
Personne ne m'a encore dit que j'étais trop courte de jambe et que j'étais trop musclée. Bizarre...

Anny va peut être venir quelques jours ici.

Madame la Source, je pensais aussi à quelque chose. En anglais, le plus difficile en fait, c'est l'accent, c'est de comprendre les Anglais parler. Et j'aimerais beaucoup avoir des cassettes (sur un sujet quelconque) avec un texte pour s’y référer. Ce serait franchement ce que j'aurais de mieux à faire cette année. Pour le moment, j'apprends 1000 mots que je prononce désespérément et je n'arrive pas bien à comprendre quelqu'un parler. Voilà un cadeau que vous pouvez m'offrir pour la rentrée.

2 août:
Madame la Source, je viens de recevoir trois lettres de vous en même temps. Toutes les trois aussi passionnantes. Je vais y répondre de façon exhaustive.
D'abord, ce n'est pas que je ne lis pas vos lettres, mais je ne réponds pas à tout, et il y a des choses qui ne m'intéressent pas spécialement. D'ailleurs, vous non plus, vous ne lisez pas mes lettres attentivement. Vous ne m'avez rien dit de mes vouvoiements par rapport aux tutoiements. Vous n'avez pas parlé de ma nouvelle conception de l'amour. Bref, bizarre.

(Je n'aime pas spécialement ce genre de petites réflexions cinglantes).

Je n'ai pas envie de faire un job d'été. J'ai assez de fric. Merci. Et d'autre part, je sais comment ça se passe. On s'emmerde à mourir. Je préfère me cultiver, excuse moi.

Source, ton témoignage sur les communistes et les fascistes est passionnant. Raconte-moi encore des histoires comme ça.

Je suis contente que tu t'entendes aussi bien avec Mareuil mais choquée vraiment de tes rapports avec René. Mon Dieu, alors que cela devrait être une passion qui te fasse avancer, quelque chose qui te réjouisse intégralement, qui te donne une bonne perspective pour toi, c'est une corvée que ce René. C'est dingue.

Enfin, moi, j'ai de super rapports avec les gens (certains seulement). Ceux qui ne m'intéressent pas, je ne les fréquente pas. Et jamais, je ne suis contrariée à cause de quelqu'un.

Belle Source, je vais te poser une question (sans rapport avec René) : quelles sont les qualités que tu trouves les plus importantes chez Richard (père d’Ariane) ? Les principaux défauts ?

Vois-tu Source, ma principale qualité, je pense, est que je me fais immédiatement une idée des gens qui m'entourent. (l'année dernière, j'étais aveugle. Exemple : le mec qui m'a baratiné au Vaudeville et moi qui étais absolument naïve). Et je voudrais voir si cette grosse Source, après un certain recule, peut parler de Richard comme je le vois maintenant.

Voilà Belle Source, je vais vite poster cette lettre et en commencer une autre pour que vous ayez des nouvelles.

Je vous embrasse très affectueusement,
Annick (Ariane)........... (..........................................................................................................................

PS : Dans la prochaine lettre, je vous parlerai de mon départ chez mon père en vous en évoquant les raisons. (1) N'est-ce pas? - Votre obsession de l'argent me fatigue et m'exaspère et surtout gâche certains lettres. Du style : "il vaut mieux être avec des gens importants".

***

(1) Les raisons : Ariane a souligné plusieurs fois "les raisons". Dans son cahier de mémoire n°15 «Copper», elle revient sur ce départ qui est à l'origine de la grave dépression nerveuse qu'elle décrit de façon presque clinique dans son journal. (ce qu'on appelle en psychanalyse: "détresse, trouble de l'angoisse de séparation (pathologique), entrave le dévoloppement de l'enfant".):

Samedi 7 août 1982 -

Le soir - Je réfléchis à mon déses. Il correspond évidemment à mon départ chez Richard, le «décès» de Grimm. Mais quand j'éclaircis ce qui ne va pas, c'est pas ça qui me désespère. Il faudrait que je tombe amoureuse d'un hypermec! Et réciproquement... "

Dimanche 8 août 1982 - _-

La vraie raison de mon déses est que je me casse chez Richard et que Grimm me hante, je crois.
Vraiment, ce journal est formidable. Ce travail terrible à faire seule. C'est dingue. Et je suis fière d'y arriver à peu près. C'est tellement difficile. Quand je relis Copper, je suis étonnée de trouver des analyses, des choses aussi exactes. Je suis terriblement intelligente: pouvoir trouver tout ça à 15 ans.

***

Lettre-réponse de la mère d'Ariane:

Paris, le 31 juillet 1984 (adressée à Hyères - Ariane est en vacances avec son père)

Ma petite fille chérie,

Je t'ai écrit hier soir en rentrant d'Houlgate et j'ai encore une foule de choses à te dire pour répondre à ta gentille lettre.

Tout d'abord, à propos de mes "lettres courtes" ou "plus courtes qu'avant", je tiens à te préciser ceci : c'est que je préfère écrire avec une machine à écrire, simplement parce que je tape à la vitesse de ma pensée, alors qu'à la main, je me traine et que cela va trop lentement.

Puis, au sujet de ce que tu me dis sur ta lecture des bouquins d'histoire, quand, en particulier tu écris : "je n'arrive pas à synthétiser ce genre de texte", je te répondrais ceci : ce qu'il te manque, c'est la connaissance - même superficielle, comme la connaissance que j'ai moi-même de l'Histoire - de la toile de fond des évènements relatés dans ce grand machin qu'est ton "IIIème Reich". La toile de fond, c'est-à-dire : l'après-guerre de 14-18 - l'importance de plus en plus grande des socialistes partout en Europe (la "montée du socialisme") - la méfiance des possédants, des "riches" (et à l'époque, cela voulait dire quelque chose !), le regroupement de ces riches qui formèrent, même en France, les bases des doctrines et des troupes fascistes.

Je te donne mon témoignage, et c'est en cela que ce que je te dis peut être intéressant :

En 1935, 1936... mon père était communiste (ce qui était normal pour un ouvrier militant de l'époque). Ma mère par contre était à priori contre les Communistes que l'on présentait partout comme des voyous dangereux et vulgaires. Vulgaires surtout ! et qui voulaient "rabaisser" les riches à leur niveau de médiocrité intellectuelle, culturelle et sociale. De plus, ma mère était infirmière et travaillait donc en permanence avec des médecins dont le moins qu'on puisse dire est qu'ils n'étaient pas communistes !

Ils faisaient une propagante ahurissante en faveur du fascisme (oui, oui !) et j'avais été invitée en tant qu'enfant de 6-7 ans à un grand rassemblement fasciste - (Fête splendide, féérique : j'en garde un souvenir inouï) - au cours duquel d'ailleurs on m'avait distribué de très jolis cadeaux. Mon père en fut très contrarié, tu l'imagines, et mes parents se disputèrent terriblement. Je réussis difficilement à garder mes cadeaux mais mon père interdit que j'aille une nouvelle fois chez les "fachos" comme il les appelait. Tout ce mouvement d'Extrême-Droite français s'appelait "l'Action française" et leur dirigeant était Charles Maurras, nom dont on parle peut-être dans ton bouquin car n'oublie pas que les "collaborateurs", les "collabos" français eurent pour point de départ leur sympathie pour Hitler (dès son arrivée au pouvoir en 1933 !).

Ce qui m'amuse dans cet avant-guerre fascinant, c'est le fait que les dictatures ont poussé en Europe à peu près en même temps comme des champignons. Et comme point commun, ils avaient une doctrine qui leur permit - au nom de cette doctrine - les camps de concentration, le Goulag en Russie. En Allemagne, le National-Socialiste avec Hitler comme Führer; en Italie : le fascisme (c'est kif-kif) avec Mussolini (qui curieusement avait été communiste !); Franco - sans doctrine, c'est vrai, mais pote comme cochon avec Hitler, et, tout là-bas, en URSS, Staline (et sa doctrine, le Communisme) qui gouverna impitoyablement jusqu'après la guerre.

 

Moi, j'estime qu'à part Staline, ces trois dictateurs n'ont réussi à prendre le pouvoir que grâce aux forces qui se groupaient pour lutter contre la montée socialiste (donc communiste).

- Tu le sais peut-être mais les communistes se sont scindés en deux groupes en 1920, à Tours. Il s'agit du "Congrès de Tours", auquel il est fait continuellement référence. Les deux groupes s'appelèrent, l'un, "les communistes", l'autre, "les socialistes". (C'est la scission" du Congrès de Tours).

N'oublie pas non plus, pour brosser à grands traits (énormes traits, j'en conviens) un tableau de l'avant-guerre, la crise économique de 1929, et puis, on l'oublie souvent, les dissensions de la Gauche partout en Europe. Gauche déraisonnable, formée d'une foultitude de partis, de groupements, face à une Droite unie et déterminée. Entre nous, c'est bien fini, la Droite a rejoint la Gauche sur le terrain de la discorde permanente.

Bon, ma chérie, je m'arrête car je ne suis pas très sûre que tu liras ma lettre jusqu'au bout.

A propos, tu ne réponds jamais à mes lettres. Par exemple, quand je t'ai écrit qu'il ne serait pas mauvais que tu envisages un stage rémunéré (un job d'été, en d'autres termes) afin d'être davantage préparée à ta future vie professionnelle, tu ne m'as pas répondu !

D'accord pour le Yoga, mais attention, ne te laisse pas embringuer dans des histoires de spiritisme à la noix. C'est très nombrilique et tu n'as pas besoin de cela. Nous en reparlerons...

Ma poupée, comme j'aimerais te faire connaître le peu que je sais. J'imagine qu'à part mon souvenir d'enfant, tu connais très bien tout ce que j'ai écrit plus haut. Tant mieux. J'espère ne pas t'avoir trop ennuyée. Je pense à toi. Ecris-moi.

           Ta maman

 

 
 
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