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6. 8 juillet 1984. Je me considère un peu comme ces femmes que j'ai tant méprisées.

Londres, le 8 juillet 1984

Chère Source,
Je vais bien. Je suis allée à la piscine, au cinéma voir "Breakdance" and "Beat street", deux films de smurf (tu dois avoir entendu parler de cette nouvelle danse : le break. Tous les noirs dansent le break sur les Champs-Elysées, au Trocadéro...) D'ailleurs, j'ai une véritable passion pour cette danse depuis ces deux films.

Tu me parles de James dans ta 2ème lettre en me disant qu'il connaît des cours de danse. Je veux bien si c'est du smurf.
En anglais, j'avance bien. Je m'amuse à lire Don Juan en anglais.

Je viens de lire un livre sur Freud ainsi que plusieurs bouquins féministes. En fait, j'avais besoin, au sujet des femmes, de lire des livres concernant leur condition de vie depuis toujours. Et non de lire une littérature idiote de passions non fondées, d'idéalisation d'une femme jolie mais bête.

Enfin, je me considère un peu comme ces femmes que j'ai tant méprisées. Tout simplement parce qu'avant, je n'en voyais que des côtés négatifs et stéréotypés. Tout de même, ton exemple et celui d’Odile me font réfléchir. L'année prochaine, je tâcherai d'aider beaucoup plus Odile et d'être toujours agréable quand je rentre de l'école.

Car tu sais, des fois, je n'ai absolument pas envie d'ouvrir le bec après une rude journée. Mais un caractère aussi lunatique doit être très difficile à supporter. N'est ce pas, Monsieur l'aigle ?

À propos, cette année, pour la première fois de ma vie, je n'ai pas été angoissée au moment de partir en vacances. En revanche, une semaine après mon départ (c'est-à-dire maintenant), mes rêves sont terribles. C'est la contrepartie. D'ailleurs, ça me contrarie beaucoup de me croire parfaitement paisible et qu'en fait, il y ait au fond de moi de grandes douleurs accumulées. Mais au moins, cela me permet de rendre les gens autour de moi heureux et d'être heureuse... sauf le matin. Après tout, belle Source, c'est ce que je voulais te demander : la vie est inévitablement remplie de petits ennuis et chacun choisit sa manière de les envisager. Je voulais te demander ton avis à ce sujet. A priori, je ne vois aucun inconvénient à ma façon d’agir à part ce que je viens de te dire : que cela fait perdre un peu confiance en soi quand sa nuit est hantée par mille soucis. Mais au moins, je me sens reposée, lucide, brillante dans la vie.

Plus jamais je ne ferai preuve d'énervement, d'angoisse. A la limite, je pense que les gens parfaitement équilibrés et de surcroît sensibles (car c'est certain, les gens du Club Med sont équilibrés mais insensibles, bêtes tels des légumes ou des « hommes renards ») ne peuvent pas ne pas ressentir les malheurs de la vie. Comme ils semblent "normaux", il doit bien exister un exutoire. Chez moi, c'est le rêve. Chez d'autres, c'est la création.

Alors, madame la belle Source, qu'en pensez-vous ?

Maintenant, poussons plus loin le raisonnement : puisque je considère comme anodin le fait de partir en voyage, a priori, je reste sereine, mais par habitude, depuis mon enfance, le départ déclenche en moi une grande angoisse qui s'intériorise dans mes rêves. A présent, voyons ce qu'il se passera la prochaine fois : quelque chose en moi (mon inconscient) sentira qu'un départ n'est pas synonyme de souffrance, et la représentation que je m’en fais va elle-même changer inconsciemment (à long terme bien sûr).

Donc les problèmes que j'ai rencontrés cette année, qui m'ont semblé insurmontables, seront tout à fait (presque, disons) inexistants dans quelques années.
Je vais t'évoquer quelles sont les angoisses qu'il m'a semblé avoir :